CHAPELLE-EN-VERCORS (la)



Lacroix : Statistiques du département de la Drôme 1835



CHAPELLE-EN-VERCORS (la)



CHAPELLE-EN-VERCORS (la). Le Vercors est une vallée de 35 kilomètres de long sur 5 ou 6 de large, dans les montagnes de l'est. Il est limité au midi par le canton de Die, au couchant par celui de Saint-Jean-en-Royans, au nord et à l'est par le département de l'Isère.
On trouve sur une même ligne les villages de Saint-Agnan, la Chapelle, Saint-Martin et Saint-Julien. La commune de Vassieux est seule dans une direction différente, au sud-ouest. Son territoire forme un plateau plus élevé, séparé du reste du Vercors par des bancs de rochers qui le circonscrivent et lui donnent la forme d'un vase : il n'y a d'autres arbres que ceux des forêts qui l'entourent. Ces cinq communes composent un canton de justice de paix, d'une population de 5,111 individus. La Chapelle, placée au centre, en est le chef-lieu. Elle est à 32 kilomètres nord de Die, 15 sud-est de Saint-Jean-en-Royans et 60 nord-est de Valence. Sa population particulière, en plus grande partie éparse dans la campagne, est de 1,300 individus. Il y a une brigade de gendarmerie à pied et un bureau d'enregistrement. Il s'y tient trois foires par an.
C'est le pays de ces anciens Vertacomicores, qui formaient une fraction des Voconces, avec lesquels on les confond assez ordinairement.
Pendant le régime féodal, la vallée était défendue, au nord, par une forteresse dont on voit les ruines à Saint-Julien.
On remarque sur le territoire de la Chapelle une grotte qui renferme des stalactites de la plus grande beauté, et voici comment elle est décrite par M. de Rochecave, contrôleur des contributions directes, dans le tableau des opérations cadastrales de la commune de la Chapelle, dressé en 1832 :
« A 45 minutes et au couchant du village, sur le penchant d'une montagne de roches calcaires, on trouve, dit-il, l'ouverture d'une grotte assez riche en stalactites : l'entrée n'en est pas facile, et vers le milieu il faut encore franchir une excavation d'environ 15 pieds pour parvenir à son extrémité. Cette grotte offre à-peu-près les mêmes accidens que toutes les excavations souterraines de ce genre : au centre est une salle remarquable par sa contexture et le dessin bizarre de l'une de ses stalagmites ; elle est partagée par l'excavation dont nous venons de parler en deux parties distinctes ; la première forme amphithéâtre et domine la seconde, d'où s'élève une colonne de stalactites d'à-peu-près 30 pieds d'élévation : cette colonne est d'une parfaite élégance ; sa circonférence est de 4 pieds à la base ; elle garde cette capacité jusqu'à la hauteur de 6 pieds, et ensuite elle s'élance jusqu'à la voûte en conservant un volume de la grosseur du bras : ce chef-d'oeuvre de l'infiltration des eaux est d'un admirable effet. La grotte a de 300 à 350 pieds de profondeur.
Vers la partie nord de la commune, ajoute M. de Rochecave, et sur la limite de Saint-Martin, se trouve la digue des prés des Cornets, établie entre deux roches nues de 40 pieds d'élévation, qui se prolongent parallèlement à une distance de plus de 200 pieds ; elle retient les eaux de la petite rivière de Vernaison, qui, sans cette construction, inonderait des prairies excellentes. Cette vue est fort pittoresque, prise du moulin en face et à 300 mètres de la digue.
Enfin, dit-il encore, du sommet de la roche qui termine le mont des Égaux, sur la limite d'Échevis et près de la combe de l'Ossence, on découvre un point de vue des plus extraordinaires : toute la commune d'Échevis, encaissée au milieu de roches sans végétation et d'une élévation prodigieuse. Ce vaste bassin a la forme d'une baignoire, et on le domine du point indiqué. Il serait difficile de décrire l'impression qu'on éprouve à l'aspect de ce vide immense au-dessus duquel on se trouve pour ainsi dire suspendu. »
Le Vercors est séparé des cantons voisins par de très hautes montagnes, qui dominent son sol déjà très élevé et l'entourent de tous côtés. Il n'y a que deux ouvertures pour le passage des eaux, l'une par laquelle la Bourne, qui prend naissance dans les montagnes de Villard-de-Lans, se précipite en cascades dans la vallée de Choranche, après avoir séparé la commune de Saint-Julien de celle de Rencurel ; l'autre par où s'échappe dans la gorge d'Échevis la rivière de Vernaison qui coule du midi au nord de ce bassin, dont elle réunit toutes les eaux.
Il n'y a d'autres chemins pour communiquer avec le dehors que des sentiers extrêmement rapides, pratiqués sur le flanc des montagnes, où les mulets même passent difficilement. Cette disposition des lieux tient habituellement le Vercors dans un état d'isolement qui augmente encore pendant la mauvaise saison, car les neiges y ferment souvent en hiver toute communication avec les cantons voisins : aussi les moeurs rudes des habitans et leurs usages stationnaires tiennent-ils de l'âpreté du climat et de cet isolement malheureux.
On y élève beaucoup de bestiaux.
Les habitans s'occupaient autrefois, pendant l'hiver, à filer la laine et à fabriquer des étoffes grossières ; mais cette industrie a presque entièrement cessé depuis l'introduction des machines dans nos ateliers de draperie. Il ne reste guère à la partie pauvre de cette population que la ressource funeste des bois coupés en délit, qui sont transportés à dos de mulet dans le Royanais, où on les vend à vil prix. Cette ressource, en quelque sorte désespérée, démoralise le pays, et conduit chaque mois une foule d'hommes, de femmes et d'enfans sur les bancs de la police correctionnelle.
Le sol du Vercors ne se refuse pourtant point à la production : il y a de vastes forêts, d'abondans pâturages, et il ne manque, pour en faire une source de prospérité, que des débouchés plus faciles.
Dans sa session de 1834, le conseil général du département a appelé d'une manière particulière la sollicitude du gouvernement sur cette contrée malheureuse. Il a demandé l'ouverture d'une communication accessible aux voitures entre le canton de la Chapelle et le Royanais, où se portent toutes les relations de commerce du Vercors. Il s'y est déterminé sur un rapport de MM. de Montrond et de Montricher, ingénieurs des ponts et chaussées des arrondissemens de Valence et de Die, dans lequel sont présentés les moyens d'établir, par les Goulets et la vallée d'Échevis, en suivant le cours de la rivière de Vernaison, cette communication si désirable, qu'on avait considérée jusqu'ici comme un problème insoluble. La dépense totale est évaluée à 215,800 francs. Il a été proposé d'en faire supporter un quart par les communes, un autre quart par le département, et le surplus par l'état, à raison du très grand avantage qu'il y trouverait comme propriétaire de la plupart des forêts du Vercors.
On ne lira pas sans intérêt les passages suivans du rapport de MM. les ingénieurs, parce que, tout en traçant la direction de la route, ils donnent l'idée la plus exacte de ces sites curieux, pittoresques et sauvages, que présente à chaque pas cette gorge fameuse d'Échevis :
La direction qui doit paraître la plus naturelle à suivre pour un chemin destiné à descendre du Vercors, est celle même qui est indiquée par le cours de la rivière de Vernaison, qui, réunissant toutes les eaux des diverses vallées qui composent ce canton, en sort par la gorge du Grand-Goulet, traverse la vallée d'Échevis, et vient, par une autre gorge, nommée le Petit-Goulet, déboucher dans la vallée de la Bourne, entre Saint-Laurent et le Pont-en-Royans. Il existe actuellement dans cette direction un sentier dont se servent quelquefois les habitans de la Chapelle et d'Échevis ; mais les grandes difficultés que présente le passage du Grand et du Petit-Goulet ont dû empêcher jusqu'à présent ces contrées, réduites à leurs seules ressources, d'y établir un chemin praticable même pour les mulets.
Le Petit-Goulet, qui est le premier passage que l'on rencontre quand on sort du Royanais, pour pénétrer dans la vallée d'Échevis, est une gorge de 400m de longueur, où la Vernaison est renfermée entre deux montagnes très élevées et très escarpées. La largeur de ce passage, qui est de 10 à 15m, et qui se réduit à 6m vers l'extrémité supérieure, est occupée en entier par la Vernaison quand les eaux sont abondantes ; quand les eaux sont basses, quelques parties du lit restent à découvert, mais on ne peut cependant jamais le traverser en entier à pied sec. Le lit du torrent n'a qu'une légère pente, et il est rempli d'une grande quantité d'énormes blocs de rochers provenant d'éboulemens des montagnes voisines, ou que les eaux y ont amenés.
Le Grand-Goulet, qui se trouve à l'extrémité supérieure de la vallée d'Échevis, à 8,000m du Petit-Goulet, est, comme celui-ci, une gorge très resserrée, mais qui se présente sur une beaucoup plus grande échelle. Sur une partie de sa longueur, on peut encore suivre un sentier établi d'abord sur la rive droite et ensuite sur la rive gauche du torrent ; mais les rochers finissent par se rapprocher tellement et offrir un tel escarpement, que le sentier ne peut plus s'y continuer, et l'on est obligé de passer alors dans le lit du torrent, qui n'est plus, comme celui du Petit-Goulet, en pente douce, mais qui a une pente extrêmement forte, dont la moyenne n'est pas au-dessous de 0m 16e par mètre. Tout le lit est rempli d'énormes blocs de rochers entassés les uns sur les autres, et formant des cascades d'où se précipitent les eaux, et ce n'est qu'en sautant d'un rocher à un autre qu'on peut pénétrer jusqu'à une distance de près de 800m, à partir de l'entrée du Goulet. Arrivée à ce point, la gorge se resserre, et l'on est au pied d'une cascade formée par des rochers superposés ayant au moins 25m de hauteur, et qu'on ne peut pas franchir ; mais au moyen de deux perches assemblées et jetées d'un bloc à un autre pour servir de pont, et d'une échelle formée par un tronc de pin garni de chevilles que les habitans du pays ont placée là, on monte à une petite plate-forme qui se trouve dans le rocher, à 4m 50e de hauteur, et l'on s'élève par un sentier extrêmement raide, qui fait plusieurs lacets sur le flanc très escarpé de la montagne de la rive droite, jusque près de son sommet. On continue ensuite de remonter le cours de la rivière de Vernaison dont on est très près. On voit les rochers qui encaissent cette rivière s'abaisser très rapidement, la vallée s'élargir, et l'on descend bientôt à l'entrée du Grand-Goulet, au-dessus de laquelle la Vernaison coule très près du niveau du sol, avec une pente très douce.
Lorsqu'on pénètre dans le Grand-Goulet par la vallée d'Échevis, et qu'on arrive au pied de la grande cascade, on est effrayé à l'aspect de ces hautes montagnes à pic, de cette chute élevée, et de cette gorge resserrée à laquelle on n'aperçoit point d'issue, et la pensée de l'établissement d'une route dans ce passage peut paraître impossible à réaliser. Cependant, quand on est parvenu à l'entrée supérieure du Grand-Goulet, on revient à des idées moins désespérantes ; mais on ne saurait se dissimuler que ce n'est qu'en surmontant beaucoup de difficultés et avec de grandes dépenses qu'on pourra venir à bout de construire un chemin de voitures pour passer de la vallée du Vercors, au-dessus du Goulet, dans celle d'Échevis.
Les nivellemens et métrés faits de toute la longueur du passage du Goulet ont montré que sur sa longueur totale, qui est de 1,185m, il y a une pente totale de 176m, ce qui donne une pente moyenne de 0m 15e par mètre. Cette pente serait beaucoup trop forte pour un chemin de voitures, et le maximum que l'on puisse adopter est de 0m 10e, ou tout au plus 0m 12e, pente qui est déjà énorme ; mais on peut cependant la tolérer ici, si l'on considère que les produits exportés du Vercors devant consister principalement en bois, ceux qui seront importés auront généralement un moindre poids, et que les voitures pourront remonter avec de faibles charges. En admettant cette pente de 0m 12e, il faut donc, si l'on fait partir la route à l'entrée du Grand-Goulet du niveau du sol, qui est à 2m 50e au-dessus du lit de la Vernaison, et l'on ne peut pas la faire partir de plus bas, qu'elle se trouve à l'extrémité inférieure à 36m 50e de hauteur au-dessus du lit, ou bien qu'on ait pu trouver le moyen de se développer dans cet intervalle pour racheter cette différence de hauteur....
Il n'y a qu'une seule manière de se trouver à 36m au-dessus du lit de la Vernaison à la sortie du Grand-Goulet, c'est d'arriver à cette hauteur, non plus dans le lit du torrent, mais sur le flanc des montagnes qui bordent la vallée d'Échevis, et qui, à la sortie du Grand-Goulet, sont beaucoup moins escarpées ; mais on ne peut y parvenir qu'au moyen d'une percée dans le rocher de la rive gauche, qui commencerait à l'entrée même du Goulet en amont, à 1,100m de distance du point de sortie. Cette percée ne serait pas probablement continue, et l'on pourrait la diviser en deux au moyen d'une retraite qui existe dans une partie du rocher. Il est possible même que, sur une partie de la longueur, on puisse se contenter de placer la route dans le rocher sans le traverser en entier, mais en le mettant en encorbellemens. Ces percées seraient chacune en ligne droite, et seraient, par conséquent, très favorables pour le transport des bois ; on leur donnerait 3m de hauteur sur 4 de largeur, en ménageant de distance en distance des élargissemens pour la rencontre des voitures.
Au moyen d'un souterrain, on pourrait diminuer la pente, puisque le flanc de la montagne sur lequel on sortirait en aval n'offre pas de difficultés dans la partie supérieure, et l'ou pourrait la ramener à 0m 10e.
Le Grand-Goulet étant une fois traversé, le tracé de la route n'offre pas de difficultés dans la vallée d'Échevis. Cette vallée présente bien, sur quelques points, des revers rapides, sur d'autres des coupures par où les eaux, lors des pluies, arrivent en abondance ; mais elle a une pente assez douce, et il n'y a rien qui mérite un examen sérieux et puisse mettre en doute la possibilité de l'établissement de la route. S'il s'agissait de dresser un projet détaillé, on examinerait si, après la sortie du Grand-Goulet, il convient de descendre dans le bas de la vallée pour passer sur la rive droite de la Vernaison, où les dispositions du terrain présentent quelque avantage ; ou bien s'il est préférable de suivre toujours la rive gauche, en se tenant dans la partie haute de la vallée, afin d'arriver sans contre-pente à la hauteur nécessaire pour franchir le passage du Petit-Goulet ; mais on n'a pas à s'en occuper ici, et l'on va passer immédiatement à l'examen de la traversée du Petit-Goulet.
Ce passage n'offre pas, à beaucoup près, les difficultés de celui du Grand-Goulet. On pourrait, si l'on voulait, s'établir dans le lit même du torrent qui a une pente douce ; mais il faudrait, sur la longueur de 400m, soutenir la route par un mur de près de 3m de hauteur, et, dans une petite partie, déblayer le rocher, pour donner au lit une largeur suffisante ; il faudrait peut-être, en outre, pour empêcher le torrent de creuser son lit, le paver sur toute sa largeur, et cette opération, à cause des blocs de rochers qui y existent, serait assez difficile, et tous ces travaux exigeraient nécessairement d'assez grandes dépenses. De plus, la route serait, dans cette gorge, exposée à être recouverte par des éboulemens de rochers, et enfin, en descendant dans le lit de la Vernaison, on aurait l'inconvénient de faire déboucher la route dans le Royanais beaucoup au-dessous de la plaine de Sainte-Eulalie, sur laquelle il faudrait remonter pour aller à Saint-Jeanen-Royans et à Romans ; mais si, au lieu de descendre dans le Petit-Goulet, on se tient sur le flanc de la montagne de la rive gauche, on peut arriver par une pente douce dans le Royanais à la hauteur même de la plaine, et l'on peut aller joindre directement, sans avoir besoin de remonter, le chemin qui va de Saint-Laurent au Pont-en-Royans, par lequel on se dirigera ensuite à volonté soit du côté du Pont, soit du côté de Saint-Jean et de Romans.
Pour établir la route au-dessus du Petit-Goulet, il y aura encore à faire une percée sur environ 300m de longueur, à cause des saillies de rocher qui existent sur cette partie de la montagne. Cette percée sera en trois longueurs séparées par des parties de route soutenues par des murs, et l'on estime que sa dépense sera moindre que celle qui serait nécessaire pour traverser le Petit-Goulet.
La dépense totale nécessaire pour construire la route sur 5m de largeur, depuis l'entrée du Grand-Goulet jusqu'à la rencontre du chemin de Saint-Laurent au Pont, peut être évaluée approximativement, savoir :

1° Percée du Grand-Goulet, 12m cubes de rocher à extraire par mètre courant, à 6 fr., ou 72 fr. par mètre courant ; donc 1,100m à 72 fr 79,200f 00e
2° Route à construire jusqu'à la rencontre du chemin de Saint-Laurent au Pont, 8,500m à 10 fr. le mètre 85,000 00
3° Percée du Petit-Goulet, 300m à 72 fr 21,600 00
4° Travaux d'art dans la vallée d'Échevis 30,000 00
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Dépense totale 215,800 00

Une telle dépense, pour une longueur de route de 9,900m, est sans doute considérable ; c'est cependant encore probablement par le passage des Goulets qu'on peut construire le plus économiquement un chemin de voitures pour descendre du Vercors dans le Royanais ; car si l'on voulait franchir les montagnes qui le séparent de Saint-Jean et de Saint-Laurent, où passent les sentiers actuellement fréquentés, les hauteurs considérables auxquelles il faudrait s'élever exigeraient des développemens de route dont la construction coûterait sans doute pour le moins aussi cher ; on aurait en outre l'inconvénient de monter beaucoup pour redescendre, et enfin de faire passer la route sur des points où la circulation serait souvent interrompue par les neiges. La construction d'une route pour aller à Die serait peut-être moins dispendieuse, mais elle serait loin de présenter les mêmes avantages pour le Vercors, dont toutes les relations sont avec le Royanais, où il trouve un débouché facile pour ses bois....

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